CAN Féminine 2024 : La nouvelle mission de Desiree Ellis

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Après leur triomphe historique à la CAN Féminine 2022, les Banyana Banyana reviennent au Maroc pour défendre leur titre, guidées une nouvelle fois par Dr Desiree Ellis.
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Quatre fois nommée Entraîneure de l’année en Afrique, la Sud-Africaine incarne l’évolution du football féminin sur le continent, entre exigence tactique, transmission générationnelle et combat pour la reconnaissance
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Dans un Groupe C relevé, l’Afrique du Sud mise sur un savant équilibre entre joueuses d’expérience et jeunes talents, avec une ambition claire : inspirer, fédérer… et marquer encore l’histoire
À quelques semaines du coup d’envoi de la Coupe d’Afrique des Nations Féminine TotalEnergies au Maroc, tous les projecteurs seront braqués sur les championnes en titre, l’Afrique du Sud, et leur sélectionneuse, Dr Desiree Ellis.
Quatre fois sacrée entraîneure africaine de l’année, Ellis incarne une nouvelle référence du football féminin sur le continent. Sous sa houlette, Banyana Banyana a écrit l’histoire en remportant pour la première fois la CAN féminine en 2022.
Alors que les Sud-Africaines s’apprêtent à défendre leur titre sur les terres mêmes où elles ont décroché ce premier sacre continental, Desiree Ellis a accepté de revenir pour CAFOnline.com sur la préparation de la compétition et l’évolution du football féminin en Afrique.
L’Afrique du Sud entame cette défense du titre dans un Groupe C relevé, face au Ghana, au Mali et à la Tanzanie.
Coach, vous avez mené les Banyana Banyana à un premier sacre historique à la CAN Féminine CAF TotalEnergies en 2022. Quelle a été la clé de cette incroyable campagne ?
Desiree Ellis : Cette victoire historique à la CAN Féminine avec Banyana Banyana est le fruit d’années de planification constante, de confiance dans le processus, et de foi en les joueuses. Si je devais identifier la clé, ce serait l’unité d’objectif. Toutes les joueuses, le staff technique, et le personnel de soutien ont adhéré à une même vision.
Notre parcours avait commencé des années plus tôt. Nous avions identifié des joueuses clés très tôt, construit un noyau dur, et les avions exposées régulièrement à des compétitions de haut niveau.
Nous étions passées proches auparavant — avec la défaite en finale en 2018 — et cette douleur nous a poussées. Nous avons appris de nos erreurs et sommes revenues mentalement plus fortes.
Chaque membre du staff a joué un rôle énorme en coulisses et pendant le tournoi. Notre travail d’équipe a été déterminant. Finalement, c’est la croyance qui nous a portées jusqu’au titre.
Comment se passe votre préparation pour cette nouvelle édition de la Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies ?
Nos préparatifs actuels sont très intentionnels et ciblés. Nous n’abordons pas cette défense de titre comme une simple répétition — mais comme une équipe qui veut évoluer et atteindre un niveau supérieur. Le succès peut rendre une équipe complaisante. Nous travaillons à renforcer la profondeur à tous les postes, car la polyvalence sera essentielle.
Nous peaufinons notre tactique, en nous assurant d’être solides défensivement sur les phases arrêtées, et nous travaillons aussi la gestion du jeu. Le succès passé ne nous garantit rien cette fois. Nous respectons notre histoire, mais sommes hyper concentrées sur l’avenir, affinant chaque aspect de notre jeu pour arriver à la CAN Féminine non seulement en tant que championnes, mais en tant que prétendantes qui ont grandi.
La constance est une marque de votre mandat. Qu’avez-vous fait différemment pour maintenir ce niveau élevé sur la durée ?
Maintenir la constance au plus haut niveau, surtout en football international, n’est jamais le fruit du hasard. Ce que nous avons fait différemment avec Banyana Banyana, c’est miser sur l’excellence durable, pas seulement sur des résultats ponctuels.
Nous avons beaucoup investi dans la continuité. Nous cherchons toujours à renouveler l’effectif, tout en collectant un maximum d’informations sur nos adversaires. Nous analysons aussi nos performances passées pour progresser. Nous n’avons jamais gaspillé une défaite.
Qu’il s’agisse de la désillusion de 2018 ou des matches difficiles en Coupe du Monde, chaque revers a été une leçon.
Vous avez remporté quatre fois le titre d’entraîneure africaine de l’année. Qu’est-ce qui nourrit encore votre passion et votre faim de succès ?
Ces récompenses sont très humbles, mais pour moi, elles ne sont pas une fin en soi. Ce sont des étapes sur un chemin bien plus long.
Entraîner les Banyana Banyana, ce n’est pas seulement du football. C’est représenter les femmes sud-africaines, montrer aux jeunes filles du continent qu’elles ont leur place dans le sport, le leadership et sur les scènes internationales. Chaque avancée ouvre un peu plus la porte à la prochaine génération.
Je vois les sacrifices de ces femmes, les défis qu’elles surmontent, et la fierté qu’elles affichent à chaque fois qu’elles portent le maillot. Rien ne vaut cette sensation en finale, l’hymne national, tout en jeu. Ou ce moment de silence après une défaite, où l’on se pose les bonnes questions. Je ne changerais cela pour rien.
Mais ce n’est jamais une aventure individuelle ; notre travail d’équipe est crucial, chaque membre jouant un rôle important, y compris le staff technique qui fait un travail énorme en coulisses et aussi le jour du match avec ses analyses précieuses.
Selon vous, comment le football féminin a-t-il évolué en Afrique depuis que vous avez pris les rênes de l’équipe nationale ?
L’évolution du football féminin en Afrique depuis mes débuts à la tête de Banyana Banyana a été tout simplement spectaculaire. Cette croissance ne s’est pas limitée à un seul aspect — elle est technique, tactique, structurelle et culturelle. C’est incroyable à observer, et d’autant plus gratifiant d’en faire partie.
À mes débuts, beaucoup d’équipes nationales africaines considéraient encore le football féminin comme une simple formalité. Aujourd’hui, certaines fédérations offrent des contrats à temps plein, investissent dans les infrastructures, les ressources et les staffs qualifiés.
Toutes les zones organisent des compétitions régulières, et la plupart des pays profitent de chaque fenêtre FIFA.
Il y a la Ligue des Champions Féminine de la CAF, et à travers ses vainqueurs, on voit que le niveau et les investissements progressent. Des équipes comme la Zambie, le Maroc, et même le Botswana ne sont plus des outsiders — ce sont des équipes avec une identité forte.
De plus en plus de joueuses africaines évoluent dans les meilleures ligues internationales — en Europe, aux États-Unis, et ailleurs. Cette exposition élève le niveau et ramène du professionnalisme dans leurs sélections.
Nous assistons à des affluences plus importantes à la CAN Féminine et aux championnats féminins. La couverture médiatique et les sponsors s’intéressent enfin au football féminin. L’écart se réduit rapidement. Chaque match est disputé, et aucun résultat n’est acquis d’avance, ce qui est excellent pour la croissance du sport.
Mais le travail n’est pas terminé. Il faut améliorer la formation des jeunes : nos équipes féminines de jeunes doivent bénéficier des mêmes qualifications que les garçons. Certaines ne jouent qu’un tour, et une fois éliminées, la campagne s’arrête. Nous devons aussi assurer la durabilité avec des ligues plus fortes et des investissements constants, car le talent est là, et l’avenir s’annonce prometteur.
Y a-t-il des talents émergents ou de nouveaux leaders dans l’équipe que les fans devraient suivre de près pendant ce tournoi ?
Absolument, l’un des aspects les plus excitants de cette équipe Banyana Banyana est le mélange d’expérience confirmée et de jeunes talents avides. Nos leaders historiques comme Refiloe Jane, Jermaine Seoposenwe, et Andile Dlamini assurent encore stabilité et leadership, mais plusieurs joueuses émergentes montent en puissance, tant en performance qu’en personnalité.
Nous ne parlons pas souvent des individualités, mais du collectif dans lequel les joueuses brillent.
Karabo Dhlamini, bien qu’ayant déjà participé à la CAN Féminine et deux Coupes du Monde, est devenue une leader naturelle en défense. Bongeka Gamede, bien qu’elle ne soit pas une nouvelle venue, pourrait vivre son tournoi de révélation. Elle a gagné en maturité, devient une joueuse calme, fiable et polyvalente.
Avec du recul, quelles ont été les plus grandes leçons apprises lors de la campagne victorieuse de la CAN Féminine 2022 ?
Les émotions restent vives quand je repense à notre triomphe en 2022. Mais au-delà de la gloire, ce tournoi nous a enseigné des leçons précieuses. Il s’agissait de grandir sous pression et de faire confiance à notre identité.
Nous n’étions pas au Maroc juste pour gagner, nous étions convaincues de pouvoir le faire. Nous avons affronté différents styles d’adversaires, et compris qu’il ne faut pas être rigide. Il faut s’adapter tout en restant fidèle à son jeu.
Plusieurs matches se sont joués sur des moments clés : un tacle, un arrêt, un peu de sang-froid. Notre plus grande arme n’était pas une tactique, mais la cohésion et le travail d’équipe entre joueuses et staff. Même celles qui ne démarraient pas poussaient le groupe vers l’avant.
Quels défis avez-vous rencontrés pour préparer cette édition du tournoi, et comment les avez-vous surmontés ?
Préparer cette édition de la CAN Féminine a présenté des défis très différents des années précédentes, non pas parce que la tâche est plus difficile, mais parce que le contexte a changé. Nous ne courons plus après l’histoire, nous la portons.
Cela apporte de nouvelles pressions, attentes et obstacles. Quelques joueuses clés ont souffert de blessures ou reviennent de longues absences. Nous avons fait plusieurs stages, et nos joueuses viennent d’environnements variés, ce qui demande une adaptation rapide. C’est un défi qui peut être négatif ou positif, car il révèle qui est prêt pour ce niveau.
Nous intégrons aussi de nouvelles joueuses pour trouver le bon équilibre entre locales et expatriées.
Quelle importance a pour les Banyana Banyana non seulement de défendre son titre, mais aussi d’inspirer la prochaine génération de footballeuses africaines ?
Le seul pays à avoir défendu plusieurs fois avec succès la CAN Féminine est le Nigeria. Ces deux dernières années, Banyana a prouvé qu’elle pouvait défier les pronostics en remportant la CAN Féminine et en atteignant les huitièmes de finale de la Coupe du Monde Féminine 2023. Il faudra encore plus d’efforts car cette équipe montre une vraie force mentale et une résilience à toute épreuve.
Remporter le titre deux fois de suite serait un accomplissement majeur, parmi tout ce que nous avons réalisé ces deux dernières années. Cela inspirerait toute une nation, attirerait plus de sponsors, et ouvrirait encore plus de portes aux joueuses vers des clubs étrangers, comme cela se fait depuis la dernière CAN Féminine avec beaucoup de nos joueuses dans les meilleurs clubs à travers le monde.
En tant que personne ayant été capitaine de l’équipe puis désormais son entraîneure, que signifie pour vous, sur le plan personnel, de mener Banyana Banyana lors d’une nouvelle CAN féminine en tant que championnes en titre ?
C’est une position profondément forte et symbolique — avoir été à la fois capitaine puis entraîneure de Banyana Banyana, et entrer dans une nouvelle CAN en tant que championnes en titre, cela revêt de multiples significations. En tant que capitaine, j’ai vécu l’expérience sur le terrain — ressenti la pression, la fierté, la responsabilité de manière directe. Aujourd’hui, en tant que coach, je transmets cette expérience vécue pour guider la nouvelle génération avec empathie et discernement.
Défendre un titre engendre d’énormes attentes — de la part des supporters, de la fédération, mais aussi des joueuses elles-mêmes. Ce serait une réalisation incroyable pour toute l’équipe, d’autant plus que, jusqu’ici, seule le Nigeria a réussi à conserver son titre, et à plusieurs reprises.