Farid Benstiti : « Ce que je fais pour l’Algérie, c’est aussi un hommage à mon père »

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  • Pour Farid Benstiti, entraîner l’Algérie, c’est honorer ses racines 
  • Le tacticien veut bâtir un groupe uni et compétitif, entre locales et binationales.
  • Il mise sur la rigueur mentale et la cohésion pour faire grandir l’équipe sur la durée

Il s’apprête à vivre sa toute première Coupe d’Afrique des Nations féminine CAF TotalEnergies avec les Vertes. Un moment fort, mais pour Farid Benstiti, ce tournoi dépasse largement le cadre du sport. L’Algérie, il n’en parle pas comme d’un pays parmi d’autres. Il en parle comme d’une part de lui-même. Un lieu de mémoire, de transmission, un prolongement de son histoire familiale. Devenir sélectionneur des Vertes n’a jamais été un simple tournant dans sa carrière : c’était une évidence, une forme de retour aux sources.

« Je me suis toujours dit qu’un jour, je devais rendre quelque chose à l’Algérie, en hommage à mon père, à mes parents, à ma famille », confie-t-il. Derrière le palmarès, prestigieux, il y a un homme profondément attaché à ses racines, à ce qu’on lui a transmis en silence, génération après génération. « Ce drapeau sur ma poitrine représente toute ma famille. L’Algérie, c’est inscrit dans mes gènes, et dans ceux de mes enfants. »

En acceptant ce poste, Farid Benstiti a choisi bien plus qu’un banc de touche. Il a choisi de s’engager pleinement dans un projet humain et sportif, fait de rigueur, de confiance et de respect. Il veut accompagner cette équipe dans sa progression, la faire grandir en restant fidèle à ses valeurs : l’écoute, l’humilité, le travail. « En tant que binationaux, on sait ce que nos parents ont sacrifié. On n’oublie jamais d’où l’on vient. »

Dans cet entretien accordé à CAFOnline.com, le sélectionneur revient avec sincérité sur les raisons profondes de son engagement, sa vision du collectif et ce lien indéfectible qu’il entretient avec l’Algérie. Un lien tissé de souvenirs, d’identité, et désormais de défis à relever sur les terrains du continent.


CAFonline.com: Coach, vous avez un immense palmarès. Qu’est-ce qui vous anime encore après tant d’années passées sur le banc ?

Farid Benstiti : Ce qui m’anime, c’est ma passion pour le football, tout simplement. Qu’il s’agisse des garçons ou des filles, c’est une partie intégrante de ma personnalité, de ma jeunesse, de mon enfance. Le football m’a construit. Il m’a permis d’arriver là où je suis aujourd’hui. 

 Un jour, quelqu’un m’a demandé : ‘Pourquoi tu continues ? Tu ne veux pas faire autre chose ?' Et j’ai répondu : ‘Mais comment faire autre chose quand, depuis qu’on est joueur, on devient presque expert dans ce domaine ?' Même si j’en avais les capacités, je ne savais pas faire autre chose. »

Vous avez dirigé Olympique Lyonnais, le Paris Saint-Germain, Reign FC aux États-Unis… Pourquoi avoir choisi l’Algérie ?

 Quand j’ai quitté les États-Unis, je voulais finaliser mon diplôme UEFA Pro. J’avais toujours travaillé sans jamais m’arrêter, et je n’avais jamais eu ce temps pour réinitialiser tous mes diplômes. 

À mon retour en France, Bordeaux m’a contacté. Mais comme j’avais passé beaucoup de temps à l’étranger, il fallait faire une réévaluation de mes diplômes, donc ça ne s’est pas fait. C’est Patrice Lair qui a finalement pris cette équipe. J’avais pourtant de très bonnes idées pour Bordeaux. Ça correspondait à ma mentalité, parce que je choisis toujours mes clubs. 

J’ai passé plus d’un an à valider mon UEFA Pro. Ensuite, j’ai eu des propositions, mais je ne voulais pas partir trop loin de la France et de ma famille. L’Algérie m’a alors appelé. Il y avait un vrai projet de développement autour de l’équipe nationale, avec la volonté de la professionnaliser. 

Ce qui m’a convaincu, c’est aussi une dimension personnelle. Je me suis toujours dit qu’un jour, je devais rendre quelque chose à l’Algérie, en hommage à mes parents, à mon père qui avait beaucoup travaillé pour ce pays. 

Ce drapeau algérien que vous portez désormais sur la poitrine, que représente-t-il pour vous ?

Il représente énormément. L’Algérie, c’est l’histoire de toute ma famille : mes arrière-grands-parents, mes grands-parents, mes parents, mes cousins… C’est historique, culturel, traditionnel, religieux. 

C’est inscrit dans mes gènes. Et dans ceux de mes enfants aussi. En tant que binationaux, on sait ce que nos parents ont sacrifié pour traverser la Méditerranée. Et on sait que notre patrimoine, c’est d’abord celui qui a été construit sur le sol algérien. 

Vous avez grandi entre deux cultures. Est-ce que cela change votre manière de gérer un groupe multiculturel ?

Je n’ai jamais essayé d’imposer quoi que ce soit. Je ne suis jamais arrivé quelque part en conquistador. Toujours avec humilité, en essayant d’abord de comprendre. 

Que ce soit en Chine, en Russie ou aux États-Unis, j’ai toujours pris le temps de me renseigner sur les gens, la culture, les modes de vie. Je ne voulais pas débarquer comme un donneur d’ordres. Il y a un respect à avoir envers ceux qui vous accueillent, ceux qui vous payent et font des efforts pour recruter un coach expérimenté. 

Ensuite, la question centrale, c’est : comment créer une osmose entre les joueuses locales, les binationaux, les membres du staff ? En ne considérant jamais que les uns sont plus importants que les autres. 

Votre mission en Algérie : construire pour la CAN ou poser les bases d’un projet durable ?

On a longtemps sous-estimé nos qualités. Le plus dur, ça a été de convaincre les joueuses de haut niveau comme Ghoutia Karchouni, Marine Dafeur, Chloé N’Gazi, Inès Belloumou ou Lina Boussaha. 

Ce n’était pas une question de leur dire “viens, c’est un honneur”. Oui, c’est un honneur. Mais ça ne suffit pas pour cette génération. Il faut leur proposer un vrai projet. 

Je ne pouvais pas leur raconter des bobards. Il fallait leur montrer le type d’équipe qu’on voulait construire, les objectifs, la vision. Et je crois qu’aujourd’hui, elles ne regrettent pas. Pour la CAN, on ne vient pas en favoris. J’ai répondu à un journaliste qu’on est des ‘outsiders +’. 

Vous êtes dans le Groupe B avec le Nigeria, la Tunisie et le Botswana. Votre analyse ?

Le Nigeria, c’est une référence. J’ai eu la chance de côtoyer Oshoala, que j’ai fait venir en Chine. C’est devenue une amie aujourd’hui. Le Nigeria n’est pas seulement une puissance africaine, c’est aussi l’une des dix meilleures équipes mondiales.

Les Botswanaises, je les ai vues jouer à la CAN 2022. C’est une équipe solide et bien organisée. Si l’on n’est pas sérieux, on ne vaut rien face à elles. Les entraîneurs africains sont de plus en plus compétents.

La Tunisie présente un profil similaire. Au final, dans ce groupe, je pense que l’équipe la plus forte mentalement atteindra les quarts de finale.

Avez-vous mis en place une préparation mentale spécifique ?

On me parle souvent de préparateur mental. Mais pour moi, le meilleur préparateur, c’est le coach, avec son staff.

La préparation mentale ne se fait pas à l’instant T. Ça fait deux ans et demi que je travaille mentalement mes joueuses. Par la rigueur tactique, la rigueur technique, et la volonté permanente de progresser. 

Chaque séance, chaque échange, chaque minute est une occasion de construire cette force mentale. Pour que nos joueuses soient concentrées, épanouies et prêtes. 

Est-ce que la pression est différente entre un club et une sélection ?

Dès qu’il y a un objectif fort – une CAN, une finale, une Champions League –, la pression est la même. Mais en club, on a le temps. Sur un championnat, on peut corriger les erreurs des premières journées.

En sélection, la compétition est immédiate. Pas le droit à l’erreur. Les éliminatoires sont parfois plus durs que la compétition elle-même. Une erreur, et c’est fini. »

Pour la CAN, je prépare les joueuses comme dans un club. Je les entraine comme si je commençais une saison, avec toute la rigueur que cela implique. 

Ce que je veux surtout, c’est qu’on profite de ce moment. Nous, on ne se souviendra peut-être pas du score exact, mais on n’oubliera jamais ce qu’on aura partagé. 

Enfin, si vous aviez un message à adresser à une jeune fille africaine qui rêve de devenir footballeuse ?

Je lui dirais que le rêve est permis, et qu’il faut s’accrocher. Qu’il faut être la meilleure possible, parce que c’est souvent la seule façon d’émerger. 

Je dirais aussi qu’il est essentiel de soutenir toutes les jeunes Africaines qui ont des étoiles dans les yeux, qu’on leur permette d’exprimer leur activité, leur passion, dans les meilleures conditions. 

Et surtout, prenons soin de nos filles. On doit les accompagner à chaque instant de leur vie. Le football, ce n’est qu’un moment de leur existence. Mais un moment précieux.