Jorge Vilda (Maroc) : « C’est un privilège d’avoir la pression.  »

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  • Champion du monde avec lEspagne en 2023, Jorge Vilda vise désormais le titre continental avec le Maroc
  • Le sélectionneur des Lionnes de lAtlas construit un collectif solide à lapproche dune CAN organisée à domicile
  • Exigence, management humain et ambition mesurée : la méthode Vilda pour marquer lhistoire du football féminin marocain

Il ne parle jamais de rêve. Seulement d'engagement, de méthode, de conquête. En Jorge Vilda, le Maroc a trouvé un sélectionneur au palmarès inégalé – champion du monde avec l’Espagne en 2023 – mais surtout un bâtisseur. Depuis novembre dernier, l’ex-coach de la Roja féminine s’est installé à la tête des Lionnes de l’Atlas avec la même obsession : transformer l’essai d’un football marocain en pleine ascension, vice-champion d’Afrique en titre et huitième de finaliste du dernier Mondial.

À quelques semaines du coup d’envoi de la CAN Féminine CAF TotalEnergies 2024, organisée à domicile, Vilda mesure l’ampleur du défi. Il ne se dérobe pas. Lucide sur la densité du Groupe A – Zambie, RD Congo, Sénégal –, l’Espagnol sait que l’attente est immense. Mais il préfère parler de privilège.

« Ce n’est pas une pression négative. C’est une envie immense de bien faire. »

Le technicien de 43 ans a vite été séduit par le projet marocain. « J’ai senti une vraie volonté de développement du football féminin. On m’a donné les moyens, j’ai pu construire mon staff, et l’accueil a été exceptionnel. » Depuis, il tisse patiemment un collectif soudé, cosmopolite, composé de joueuses venues de championnats différents. L’intégration ? « Ce sont elles qui facilitent tout. Elles sont totalement engagées envers le maillot. »

Vilda revendique un style de management humain, basé sur le lien, le respect, et l’exigence. Une famille qu’il espère portée par les supporters marocains dès le 5 juillet.

« Ce que je peux garantir, c’est que nos joueuses vont se battre sur chaque ballon.» La promesse est claire : pas de rêve creux, mais du concret, de la sueur, de l’ambition, et une CAN à conquérir, enfin.


CAFOnline.com : Avant même le coup d’envoi du tournoi, quel regard portez-vous, non seulement sur la compétition elle-même, mais aussi sur le football féminin africain en général ?

Jorge Vilda : C’est un football au potentiel immense. Cela fait presque deux ans que nous travaillons ici au Maroc et que nous affrontons des équipes africaines. On constate une vraie progression.
Tout est de plus en plus équilibré. Les équipes se préparent mieux, les compétitions nationales s’améliorent, les sélections disposent de meilleurs staffs techniques qui aident les joueuses à progresser. On voit des formations plus organisées et, surtout, dotées d’un potentiel physique énorme.
On note aussi la présence de nombreuses joueuses évoluant dans les meilleurs championnats du monde, ce qui fait clairement la différence, aussi bien en club qu’en sélection.

Avant de prendre en main la sélection marocaine, vous avez été sélectionneur de l’Espagne, championne du monde. Comment cette expérience influence-t-elle aujourd’hui votre travail avec le Maroc ?

Remporter une Coupe du Monde, c’est le fruit du travail de nombreuses personnes pendant de longues années. Personnellement, j’ai passé 17 ans dans les sélections espagnoles. J’ai commencé dans les catégories de jeunes, d’abord comme préparateur physique, puis entraîneur adjoint, avant de diriger les U17 pendant plusieurs années, puis les U19, et enfin la sélection A que j’ai entraînée pendant huit ans.
Durant tout ce parcours, beaucoup de choses ont été bien faites. Mon objectif, en tant qu’entraîneur, a toujours été d’aider les joueuses et les équipes à progresser.
Nous avons également reçu beaucoup de soutien des clubs, des fédérations régionales et, bien sûr, de la fédération espagnole, qui nous a fourni les moyens et les outils nécessaires pour faire grandir le football féminin.
Je suis très fier que, lors de cette même saison, nous ayons remporté la Coupe du Monde U17, U20 et A. C’est quelque chose de très rare et difficile à égaler. Toute cette expérience me sert aujourd’hui.
Ici, nous sommes dans une autre réalité, mais je pense qu’en près de deux ans, nous avons contribué à faire progresser la sélection et le football féminin marocain. Nous avons très envie de voir cela se traduire en résultats, même si nous savons qu’il faut du temps pour y parvenir.

Vous avez pris les rênes de la sélection marocaine en novembre 2023. Qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre ce projet ?

Eh bien, tout d’abord, c’est la conversation avec le président qui m’a rapidement convaincu, parce que j’ai perçu un engagement fort, déterminé et courageux en faveur du football féminin au Maroc, avec une véritable volonté de croissance. Le courant est tout de suite très bien passé.

Ensuite, on m’a fait visiter les installations, qui sont, je pense, parmi les meilleures au monde. Ce sont celles de la Fédération marocaine. Il y a aussi toute l’équipe de travail de la Fédération qui s’occupe du football féminin.

Enfin, j’ai rencontré les joueuses lors d’une réunion, et ce qu’elles m’ont transmis m’a beaucoup plu.
J’ai mis très peu de temps à me décider, je voyais que c’était un environnement propice pour développer notre travail. On m’a aussi permis de constituer mon propre staff, ce qui n’est pas toujours possible ailleurs. Tout a été facilité, et j’ai rapidement dit oui.

Le Maroc est votre première expérience à l’étranger. Pouvez-vous nous dire comment vous avez vécu cette transition ? Quels moments forts retenez-vous depuis votre arrivée ?

Je me souviens surtout des premiers matchs que nous avons disputés. Juste après ma signature, je crois qu’au bout de trois jours, nous avions déjà un stage, pratiquement sans connaître les joueuses.
On a joué deux matchs qualificatifs pour les Jeux Olympiques, que nous avons remportés.

Ce qui m’a le plus frappé, c’est la manière dont le football est célébré ici, la passion des supporters, des joueuses.
Quand nous sommes rentrés à la résidence après avoir gagné ces deux matchs, tous les employés nous ont accueillis avec des pétales de fleurs, de la musique… C’était une scène que je n’avais jamais vécue auparavant.

Par la suite, j’ai essayé d’aider avec les catégories inférieures grâce à mon expérience. Et maintenant, le Maroc va organiser les cinq prochaines Coupes du Monde féminines U-17.
Je pense que cela montre à quel point le pays et la Fédération sont engagés pour le football féminin.

Stage après stage, on travaille au quotidien, ici au Maroc, que je trouve être un pays merveilleux que je recommande de découvrir. Les gens y sont très hospitaliers, on a tissé de très bons liens. Et, je suis très heureux.

 

 

Les Lionnes de l’Atlas sont l’une des sélections les plus cosmopolites du continent, avec des joueuses venues de plusieurs championnats. Comment parvenez-vous à créer une véritable cohésion malgré cette diversité culturelle et ces parcours variés ?

Finalement, ce sont elles qui rendent les choses faciles, car elles arrivent avec une implication et un engagement total envers le maillot, le blason, le pays. Elles viennent très motivées.

Ensuite, de notre côté, nous essayons aussi de favoriser la cohésion du groupe à travers des activités communes, en dehors du football.

Dès le départ, c’était un objectif pour nous de créer ce groupe. Et je suis fier de ce que nous avons construit, car c’est un très bon groupe humain. Des joueuses qui donnent tout à chaque entraînement, qui se comportent avec respect, pas seulement entre elles, mais aussi envers les arbitres et le staff.

On a aussi un super staff : le service médical, les intendants, la team manager, les gens des médias… On forme une véritable famille.

Pour la langue, on s’adapte comme on peut pour se comprendre, et au final, tout le monde se comprend. J’ai appris quelques mots en darija pour coacher sur le terrain, un peu de français aussi. Mais j’ai surtout une personne très importante pour moi : mon adjoint Saad Guermane. Il m’aide à faire passer les messages avec précision, en traduisant en français et en arabe.

Il y a une très belle harmonie entre tous. Et j’aimerais que ça dure longtemps.

Le Maroc évolue dans le Groupe A, aux côtés de la Zambie, de la RD Congo et du Sénégal. Quelles sont vos impressions sur ce groupe ?

Je pense que c’est le groupe le plus relevé, car très équilibré. On connaît bien la Zambie, on s’est affrontés en qualifications olympiques. C’est une équipe qui a beaucoup progressé cette dernière année, avec des joueuses très puissantes, rapides, fortes physiquement, qui évoluent dans les meilleurs championnats.

Elles ont une nouvelle entraîneuse (ndlr: Nora Häuptle) qui leur apporte plus d’organisation. C’est une équipe très compétitive.

La RD Congo est aussi une sélection composée de joueuses très fortes physiquement. On les a déjà affrontées et on sait combien elles sont difficiles à jouer.

Et le Sénégal, qu’on a affronté en match amical, est une équipe qui peut poser de vrais problèmes.

Je crois que chaque victoire dans ce groupe sera une véritable conquête. Gagner un match en phase finale, c’est déjà une conquête. Et c’est notre objectif : conquérir match après match.

 

 

En tant que vice-champion d’Afrique, et hôte de cette CAN Féminine, ressentez-vous une pression particulière ?

Plus qu’une pression, c’est surtout une grande envie de bien faire.
Bien sûr, nous nous mettons une certaine pression au quotidien pour bien travailler. Mais ce n’est pas une pression négative : c’est un privilège d’avoir cette pression, parce que cela signifie que nous avons une bonne équipe, et que nous savons que nous pouvons accomplir de grandes choses. C’est pour cela que nous nous battons.

Quant à la pression extérieure – du public, de la presse – nous la ressentons moins, car au fond, ceux qui nous mettent le plus de pression, c’est nous-mêmes.

Quel message souhaitez-vous adresser aux supporters marocains ?

Nous n’allons pas les décevoir. Nous voulons qu’ils viennent nous soutenir dans les stades, qu’ils nous suivent aussi à la télévision.
Ce que je peux garantir à 100 %, c’est que nos joueuses vont tout donner, se battre sur chaque ballon, pas seulement pour gagner les matchs, mais pour chaque action. C’est l’identité de cette équipe marocaine, et je peux vous assurer que vous verrez cela. Nous voulons que les Marocains soient fiers de leur équipe, c’est pour cela que nous travaillons chaque jour.