Kamel Saada (Tunisie) : le passeur des générations

- Kamel Saada mène la Tunisie vers la CAN Féminine CAF TotalEnergies 2024 avec une ambition claire : transmettre, structurer et bâtir pour l’avenir
- Avec une nouvelle génération de talents et une philosophie fondée sur l’équilibre entre jeunesse et expérience, le technicien tunisien veut inscrire le football féminin dans la durée
- À quelques jours du coup d’envoi au Maroc, Saada détaille à CAFOnline.com son projet global, entre préparation minutieuse, valeurs humaines et transmission intergénérationnelle
Au cœur de la préparation de la Tunisie pour la Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies, prévue au Maroc du 5 au 26 juillet 2025, un homme orchestre patiemment les équilibres, réajuste les lignes et installe une vision : Kamel Saada, nommé sélectionneur en juillet 2024, incarne une transition plus profonde qu’un simple changement de banc. Ce technicien, formé à l’école des jeunes — avec un passage par la tête de la sélection U17, un rôle d’adjoint chez les U20 et une riche expérience dans le centre de formation national — est aujourd’hui le garant d’un projet générationnel ambitieux.
Dans l’univers du football féminin qu’il qualifie de « monde exceptionnel », Saada ne se contente pas d’entraîner : il transmet, il élève, il bâtit. Car au-delà de l’enjeu immédiat de la compétition, son regard se porte sur l’avenir. Il parle de cycles de trois ou quatre ans, d’alignement méthodologique entre les U15 et les seniors, d’un style de jeu cohérent à tous les étages, comme une partition commune que chaque génération apprendra à interpréter. Ce souci de continuité structurelle est rare et précieux.
Mais cette vision ne saurait exister sans l’humain. La transmission est au cœur de son travail quotidien. Transmission des cadres expérimentées comme Mariem Houij ou Chaima Abbassi vers les jeunes pousses intégrées en nombre au groupe. Transmission de l’expérience du quart de finale de 2022, que les anciennes partagent à travers des images, des récits, des conseils, jusqu’aux émotions vécues dans les dernières minutes d’un match raté d’un rien. Transmission aussi de ses propres méthodes, qu’il a dû adapter très tôt.
Dans un groupe relevé composé du Nigeria, de l’ Algérie,du Botswana, Kamel Saada sait que la Tunisie devra faire preuve de rigueur et de solidarité. Mais il sait aussi que l’essentiel ne se résume pas à un résultat. À travers cette interview accordée à CAFOnline.com, c’est un projet global qu’il nous livre : un football tunisien féminin fort, ancré dans la formation, irrigué par les générations, porté par des valeurs de travail, d’écoute et de confiance. Dans cet entretien exclusif accordé à CafOnline.com, le tacticien tunisien se livre sans détour sur sa vision, ses méthodes et les fondements du projet qu’il construit autour de l’équipe nationale féminine.
CAFOnline.com : Pourquoi avoir accepté de prendre les rênes de l’équipe nationale féminine en juillet dernier ?
Kamel Saada : Parce que j’ai constaté une progression très rapide du football féminin. Pour moi, c’était l’occasion d’un nouveau défi. J’ai étudié l’effectif, compris les objectifs de notre fédération, et cela m’a motivé à relever ce challenge. Mon ambition était claire : former une nouvelle génération, moderniser notre style de jeu, et abaisser la moyenne d’âge de l’équipe. On est passé de 28 à 22 ans. C’est un projet sur trois ou quatre ans avec des objectifs bien définis : combiner talents locaux et expatriées, instaurer des principes solides, et développer une équipe compétitive sur le long terme.
Vous avez connu les jeunes catégories avant. Qu’est-ce qui vous a marqué lors de vos débuts avec les seniors féminines ?
Lors de mon tout premier entraînement, j’ai présenté ma vision, mes principes de jeu. Et une joueuse m’a demandé, très sérieusement : « Coach, est-ce que vous parlez chinois ? » Elle ne comprenait pas ce que je voulais dire. (sourire) Ça m’a permis de revoir ma méthode, de simplifier mon approche. Progressivement, les joueuses ont compris mes attentes, et j’ai senti leur capacité à progresser très vite. Après quelques jours de stage, on a joué contre la Tanzanie : défaite 5-0. Mais ensuite, contre le Botswana, on a vu des progrès nets. J’ai constaté que les filles ont une marge de progression impressionnante, parfois plus marquée que chez les garçons, à condition qu’on les accompagne bien.
Où en êtes-vous aujourd’hui dans la préparation pour la CAN Féminine ?
On a mis en place un plan de préparation de deux mois. Actuellement, on est en stage à Ain Draham, en altitude. On travaille bien, avec des séances vidéos et tactiques adaptées à chacun de nos adversaires. On sait que notre groupe est relevé : Nigeria, Algérie, Botswana. Trois formations solides, qu’on respecte énormément. On se prépare match après match, avec précision, sur le plan physique, tactique et mental. Toutes les joueuses sont présentes. L’état d’esprit est bon. On espère être prêtes pour disputer une belle Coupe d’Afrique.
Justement, quelles sont vos impressions sur ce groupe B ?
C’est un groupe difficile. Le Nigeria, tout le monde connaît sa qualité. L’Algérie est en pleine progression. Le Botswana aussi. On ne sous-estime personne. Il faudra être appliquées, disciplinées et jouer notre meilleur football. Celui qui joue juste et collectif peut surprendre. On s’y prépare avec sérieux.
Quel rôle jouent les cadres comme Chayma Abbassi ou Mariem Houij dans ce groupe rajeuni ?
Notre philosophie repose sur un équilibre entre l’expérience et la jeunesse. On a gardé 7 à 8 cadres : Houij, Abbassi, Rouni… Ce sont des repères importants pour le groupe. À côté, on a intégré 13 nouvelles joueuses, issues des U20, U21, parfois même des U17, dont certaines expatriées. L’alchimie fonctionne bien, aussi en dehors du terrain. Dans les chambres, à table, dans les échanges, il y a une vraie transmission. L’idée, c’est que les anciennes accompagnent les nouvelles dans cette phase de transition générationnelle.
Certaines cadres ont vécu la belle campagne de 2022. Qu’en partagent-elles aujourd’hui ?
Beaucoup. On a regardé ensemble des extraits de cette CAN 2022. Leur quart de finale perdu 1-0, les occasions manquées… Elles racontent, elles motivent, elles insistent sur les détails qui font la différence : la concentration, l’engagement dès le premier match, l’importance des dernières minutes. Ces souvenirs nourrissent les plus jeunes, les aident à comprendre ce qu’est le haut niveau. Il y a une vraie cohésion dans le groupe. On est une famille : staff, joueuses, tout le monde. Et cette solidarité est notre force.
Si vous deviez convaincre un coach d’entraîner une équipe féminine, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais que c’est un autre monde. Exceptionnel. Quand on travaille bien avec les filles, on voit immédiatement les résultats. Elles sont disciplinées, à l’écoute, prêtes à dépasser leurs limites. J’ai dirigé des équipes masculines, j’ai été directeur technique, mais ce que je vis aujourd’hui est unique. Il faut comprendre leur sensibilité, leur mental. Mais une fois la confiance installée, elles donnent tout. Je recommande à tous les techniciens de vivre cette expérience.
Que visez-vous concrètement dans cette CAN ? Et au-delà ?
Sur le court terme, notre objectif est clair : passer le premier tour. Ensuite, aller le plus loin possible. Mais en parallèle, on travaille sur une vision à long terme. Avec la Fédération, on a lancé un projet de formation cohérent, basé sur les mêmes principes de jeu pour toutes les catégories : U15, U17, U20, jusqu’aux seniors. Certaines joueuses de 2008 sont déjà avec moi chez les A. Le but, c’est d’avoir une grande équipe tunisienne dans trois ou quatre ans. Et participer avec ambition aux prochaines CAN, mais aussi aux compétitions arabes et pourquoi pas mondiales. Inch’Allah.