Mohamed "Housseï" Saloum : « Le football féminin au Mali peut viser les sommets africains. »

- Depuis 2017, Mohamed “Housseï” Saloum incarne la stabilité et la rigueur à la tête des Aiglonnes
- Premier préparateur physique de l’histoire de la sélection féminine malienne, il est devenu son architecte en chef
- Son objectif : faire du Mali une puissance continentale et le prouver dès cette Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies, Maroc 2024
« Être entraîneur national, c’est presque être ministre. » Quand Mohamed "Housseï" Saloum prononce ces mots, ce n’est ni par orgueil ni par provocation. C’est la conscience de la responsabilité qui pèse sur ses épaules : celle de porter les espoirs d’un football féminin longtemps ignoré, parfois méprisé, mais aujourd’hui en pleine ascension au Mali. Depuis 2017, il est à la tête des Aiglonnes, un poste qu’il occupe avec humilité, rigueur et vision. Ancien préparateur physique, premier à occuper ce rôle auprès des joueuses maliennes en 2015, Saloum est devenu en l’espace de quelques années l’architecte principal de la renaissance féminine du football national.
À travers les succès en club, la montée en puissance des joueuses locales et l’éclosion de talents comme Agueicha Diarra, il a façonné un groupe qui ne craint plus personne sur le continent. À la veille d’une nouvelle CAN féminine dans un groupe relevé, il revient pour CAFOnline.com sur son parcours, ses convictions profondes et les clés de la progression malienne. Entretien avec un passionné méthodique, à la parole posée mais à la détermination inébranlable.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans le football féminin ?
Au départ, j’étais un peu hésitant. À l’époque, beaucoup d’entraîneurs restaient à l’écart du football féminin, souvent à cause de préjugés sociaux. Mais des collègues expérimentés m’ont encouragé : pour eux, encadrer des femmes ou des hommes, c’est le même métier, le même engagement. Alors j’ai tenté ma chance. En 2015, j’ai intégré la sélection féminine comme préparateur physique – c’était une première au Mali. Ce rôle m’a permis d’amener une certaine rigueur, et je pense que cela a été bénéfique. J’ai ensuite passé mes diplômes, et en 2017, on m’a confié les rênes de l’équipe.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du football féminin malien depuis vos débuts ?
Les progrès sont nets. En 2015, le championnat féminin était encore embryonnaire. Aujourd’hui, on compte une douzaine de clubs à l’échelle nationale. Grâce à la politique de la CAF, qui oblige les grands clubs comme le Stade Malien ou le Djoliba à avoir une section féminine, de nombreuses filles ont trouvé une structure pour évoluer. On a aussi vu naître des talents chez les jeunes, que j’intègre dès que possible à la sélection A pour leur faire goûter au haut niveau.
Le Mali a disputé plusieurs CAN féminines sous votre conduite. Qu’est-ce qui vous motive à continuer après huit ans ?
C’est un combat, mais un combat noble. Je veux montrer à ces jeunes filles que par le travail, on peut aller loin. En 2018, on est arrivés en demi-finale de la CAN, une première dans l’histoire du Mali. Cette génération continue d’inspirer les suivantes. Aujourd’hui, près de 75 % de nos anciennes joueuses évoluent à l’étranger, en Europe, en Asie ou en Afrique du Nord. Mon objectif est clair : porter le Mali parmi les trois meilleures nations africaines et atteindre un jour la Coupe du Monde.
Pour cette CAN féminine, vous êtes dans un groupe relevé avec l’Afrique du Sud, le Ghana et la Tanzanie. Comment abordez-vous ce défi ?
On parle déjà de “groupe de la mort”. Mais le Mali aime le défi. L’Afrique du Sud est tenante du titre, le Ghana est une puissance historique du continent, et la Tanzanie progresse vite. En 2018, c’est nous qui avions éliminé le Ghana. Aujourd’hui encore, on veut faire valoir nos arguments. Nos joueuses montent en puissance, et cette CAN sera une opportunité de montrer où nous en sommes.
Comment se passe la cohabitation entre expatriées et joueuses locales ?
Très bien. D’ailleurs, plusieurs expatriées ont d’abord été formées localement. Agueicha Diarra, par exemple, jouait au Super Lionnes d'Hamdallaye avant de briller à la CAN 2018. C’est à ce moment qu’elle a été repérée. Il en est de même pour Aïssata Traoré, aujourd’hui professionnelle à l’étranger. Lorsqu’elles reviennent en sélection, ces filles apportent leur expérience et renforcent la cohésion du groupe. Elles montrent aux locales ce qu’exige le professionnalisme. C’est un relais très précieux.
Justement, que pouvez-vous nous dire du parcours d’Agueicha Diarra ?
Je pourrais écrire un livre sur elle ! C’est une joueuse que j’ai repérée très tôt. Au début, elle était talentueuse mais paresseuse. Je lui ai proposé des séances individuelles avant les entraînements collectifs, pour travailler sa discipline. Elle a compris le message, ses parents aussi. C’est ce déclic qui a lancé sa carrière. Aujourd’hui, elle évolue au PSG et elle me le dit souvent : « Coach, ce que tu m’avais dit, je le vis aujourd’hui. » Cela me rend fier.
Comment suivez-vous vos joueuses en dehors des périodes de rassemblement ?
Nous avons mis en place un système rigoureux. Sur le plan local, chaque semaine, mon staff et moi assistons aux matchs du championnat. Nous échangeons aussi régulièrement avec les entraîneurs de clubs. Pour les expatriées, les nouvelles technologies nous facilitent la tâche. Les clubs nous envoient des liens pour suivre leurs performances. Cela nous permet de faire un suivi personnalisé, de repérer les points d’amélioration et d’anticiper les prochaines convocations.
Et sur le plan personnel, que vous apporte ce rôle de sélectionneur ?
C’est une énorme responsabilité. Quand vous portez les ambitions d’une équipe nationale, vous n’êtes pas loin d’un ministre ! Je mesure l’honneur que c’est de représenter le Mali. J’essaie d’en être digne, avec humilité. Le football féminin mérite plus de reconnaissance, plus de moyens, et je pense que, collectivement, nous allons y arriver.