Nora Haüptle (Zambie) : “On avance pas à pas, il n’y a pas d’ascenseur vers le succès.”

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  • Avec une méthode aussi claire qu'efficace, Nora Häuptle mise sur la rigueur, l’écoute et un travail profond sur les valeurs collectives pour faire grandir son équipe
  • Autour de stars comme Barbara Banda et Rachel Kundananji, la Zambie s’appuie sur un vestiaire soudé, humble et connecté à ses racines
  • L’objectif est clair, affiché sans détour : remporter la CAN Féminine CAF TotalEnergies 2024 et inscrire les Copper Queens dans l’histoire du football africain.

Elle est arrivée à Lusaka avec son tableau blanc, son accent suisse, et surtout, ses idées claires. Depuis le 1er janvier, Nora Häuptle est la nouvelle patronne des Copper Queens. À 41 ans, l’ancienne sélectionneuse du Ghana a pris les commandes avec une ambition affichée : transformer un groupe talentueux en prétendant crédible au titre continental. Le défi est immense. L’enthousiasme, palpable.

Premiers galops en février face au Malawi (défaite 2-3 et une victoire 2-0), promesses tenues en avril lors d’un tournoi en Chine. Peu à peu, des certitudes émergent autour d’un groupe solidaire et d’une identité de jeu qui se précise. « On avance pas à pas. Il n’y a pas d’ascenseur vers le succès », souffle Nora Häuptle, lucide et déjà pleinement engagée dans le projet zambien.

Dans un pays fou de football, où la sélection féminine suscite presque plus d’émotion que sa version masculine, la Suissesse a rapidement trouvé ses marques. Avec des leaders comme Barbara Banda ou Rachel Kundananji, stars à l’étranger mais profondément ancrées dans leur culture, Häuptle prône l’humilité et l’exigence. Elle écoute, échange, tranche. Et surtout, elle fédère.

À quelques semaines de la Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies 2024, la Zambie affiche ses ambitions. Placée dans un groupe relevé aux côtés du Maroc, de la RD Congo et du Sénégal, elle avance avec une idée fixe : revenir avec un trophée. Car ici, tout le monde y croit. Et Nora Häuptle la première.


CAFOnline.com : Vous avez pris les commandes de la Zambie en janvier dernier. Comment avez-vous vécu vos premiers mois à la tête des Copper Queens ?

Nora Häuptle : Merci. J’ai pris mes fonctions le 1er janvier. En février, nous avons disputé deux matchs contre le Malawi et en avril, nous avons participé à un tournoi international en Chine. Jusqu’à présent, c’est un bon parcours. Nous avons surtout travaillé sur nos principes de jeu et un style légèrement ajusté. Les joueuses sont très ouvertes d’esprit.

Qu’est-ce qui vous a le plus surprise en découvrant le football zambien et vos joueuses ?

Ce qui m’a le plus marquée, c’est la passion incroyable. Le public est fou de football en Zambie. Où que j’aille, même en dehors du cadre professionnel, les gens viennent me parler et partagent leur passion. Il y a un amour profond pour le football et une vision commune : celle de ramener un trophée à la maison avec l’équipe féminine, comme l’équipe masculine l’a fait en 2012.
Je ressens même une excitation un peu plus forte autour de l’équipe nationale féminine que de la masculine. Ces émotions et cette passion me portent énormément.

Comment avez-vous construit votre relation avec ce groupe, notamment avec des joueuses clés comme Barbara Banda ou Rachel Kundananji ?

C’est un honneur pour moi de travailler avec des joueuses aussi exceptionnelles. Nous avons des talents remarquables dans l’équipe, mais ce qui m’impressionne le plus, c’est leur humilité. Humainement, elles sont très simples, très proches de leurs racines, même si elles sont des superstars.
Cela se manifeste par de petits gestes. Par exemple, en février, les terrains d’entraînement étaient en mauvais état. Je m’attendais à ce qu’elles s’en plaignent, mais elles se sont entraînées sans un mot. J’apprécie le fait qu’elles n’oublient jamais d’où elles viennent, qu’elles soutiennent leur communauté et qu’elles soient des modèles.
Pour ma part, j’essaie d’interagir avec elles à hauteur d’yeux, d’être participatives et d’intégrer leurs avis. Bien sûr, c’est moi qui dois trancher en fin de compte, mais pour le moment, je ressens un lien très fort et un engagement profond avec ce groupe de joueuses.

Vous avez donc travaillé au Ghana avant la Zambie. On sent à quel point vous êtes investie dans le football africain. Qu’est-ce qui rend ce football si spécial pour vous ?

Pour moi, c’est un privilège de travailler en Afrique. Il y a un immense réservoir de talents, non seulement chez les joueuses, mais aussi dans le potentiel de développement global.
Actuellement, avec l’équipe de Zambie, je sens qu’il y a une vraie possibilité de faire progresser le jeu. J’aime endosser ce rôle de « développeuse » : amener les équipes à un niveau supérieur.
Et puis il y a cette passion du football qui est incroyable. J’apprends aussi énormément au niveau culturel. Je m’efforce de rester très ouverte, car c’est un véritable échange : je donne, mais je reçois aussi beaucoup. Je suis profondément inspirée par l’histoire du continent, par les gens. Et j’ai vraiment envie de continuer cette aventure ici.

Cette Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies 2024 qui approche sera votre premier. Que représente-t-elle pour vous, sur les plans professionnel et personnel ?

Oui, ce sera ma toute première CAN Féminine, mon premier grand tournoi sur le continent. Avec le Ghana, j’avais qualifié l’équipe après trois ans de travail. C’était un beau parcours.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’y participer avec la Zambie. Pour moi, c’est une forme d’accomplissement.
C’est aussi l’occasion de prouver notre valeur au plus haut niveau. Nous avons tellement investi dans cette équipe, avec beaucoup de passion.
Et en Zambie, nous partageons tous une même vision : ramener un trophée à la maison. C’est une grande source de motivation pour moi. Je veux juste m’assurer qu’on avance étape par étape, avec curiosité et enthousiasme. Je suis impatiente que le tournoi commence.

La Zambie évoluera dans le Groupe A avec le Maroc, la RD Congo et le Sénégal. Quelle est votre analyse de ce groupe ?

C’est un groupe assez diversifié en termes de styles de jeu. Le Sénégal, je le connais un peu pour les avoir affrontés avec le Ghana. C’est une équipe très physique, avec des joueuses techniquement douées. Beaucoup évoluent en France, un championnat exigeant physiquement.
La RD Congo possède l’actuel champion de la Ligue des Champions Féminine de la CAF ( ndlr : le Tout Puissant Mazembe), ce qui signifie une base de clubs très solides.
Souvent, ce sont justement ces clubs qui alimentent l’équipe nationale. On s’attend donc à un niveau de combativité important.
Enfin, le Maroc : on voit très clairement les fruits du travail de leur fédération, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Leur style est davantage basé sur la possession.
La Zambie les a récemment affrontés en qualifications olympiques, donc nous connaissons bien leur approche.

Comment gérez-vous cette pression collective ?
Oui, les attentes sont effectivement très élevées. Mais, personnellement, je ne lis pas trop ce qui se dit autour, je fais en sorte de ne pas laisser ces pressions extérieures pénétrer mon esprit. Je me reconcentre toujours sur les petites étapes du travail quotidien.
Je sais qu’il n’y a pas d’ascenseur vers le succès, seulement des escaliers.
Je préfère me concentrer sur notre performance. Je dis toujours : quand on travaille bien sur notre performance, les résultats finiront par suivre. Donc je reste focalisée sur cela. Bien sûr, nous partageons toutes cette vision : celle de gagner un trophée. Mais en Zambie, on dit souvent qu’il faut avancer pas à pas.

Comment construisez-vous l’unité dans une équipe de plus en plus sous les projecteurs médiatiques ?
Je pense que nous avons construit une vie intérieure propre à notre groupe, sur laquelle nous nous concentrons.
Pour moi, la stabilité d’une équipe repose sur ses valeurs.
Nous sommes encore dans ce processus : définir ensemble nos valeurs, ce qu’elles signifient concrètement, puis les incarner au quotidien.
Je suis convaincue que lorsque cette fondation est solide, même s’il peut y avoir des hauts et des bas dans les performances, on ne perd jamais ce qui compte le plus.
On peut perdre un match, oui, mais on ne doit jamais perdre nos valeurs.
Revenir à cette base nous aide à traverser les périodes de pression avec davantage de sérénité.

Comment trouvez-vous l’équilibre entre les joueuses expérimentées qui évoluent à l’étranger, et les jeunes talents issus du championnat local ?

Récemment, notre équipe U17 s’est qualifiée pour la Coupe du Monde, ce qui prouve le vivier de talents que nous avons ici. Nous avons effectivement des jeunes joueuses très douées, que j’intègre progressivement dans notre groupe senior.
À mes yeux, c’est l’effectif qui prime. Il faut construire un système de jeu autour de nos joueuses clés. Nous avons des individualités exceptionnelles, et il faut donc trouver une manière de les faire coexister efficacement sur le terrain, tout en travaillant sur la cohésion du groupe. Par exemple, lors du tournoi en Chine en avril, certaines de nos joueuses majeures n’ont pas pu faire le déplacement. C’était l’occasion de donner du temps de jeu aux plus jeunes. Et je crois en elles. Elles ont répondu présentes. Pour moi, tout est question de juste équilibre.

Coach, vous êtes encore jeune, mais parlons de l’avenir. Quel héritage souhaitez-vous laisser dans l’histoire du football zambien ?

J’ai pris mes fonctions au début de l’année, donc je ne pense pas encore à l’héritage.
Mais la vision du pays, celle des joueuses aussi, m’inspire énormément : c’est celle de remporter un trophée. C’est un objectif clair. Au-delà de cela, j’aimerais aussi être reconnue comme une bonne personne, fidèle à mes valeurs. Quelqu’un qui partage sa passion pour le football, mais aussi quelqu’un qui inspire, dans le sport et au-delà, ici en Zambie.