Tunisie – Algérie : une frontière, un match, deux visions

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Elles se connaissent. Trop, peut-être. Entre la Tunisie de Kamel Saada et l’Algérie de Farid Benstiti, ce sont des histoires parallèles, des joueuses passées par les mêmes centres de formation, les mêmes clubs français, parfois même les mêmes vestiaires. Mais jeudi à 17h, au stade Père Jégo de Casablanca, l’heure ne sera plus aux souvenirs partagés. Il faudra choisir un camp, imposer son identité. Et peut-être sauver sa CAN.

Ce derby du Maghreb, le tout premier entre nations voisines en phase finale de Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies, n’est pas un simple rendez-vous régional. C’est un carrefour pour deux sélections à la trajectoire opposée : la Tunisie, en quête de rédemption après une entame manquée contre le Nigeria (0-3), et l’Algérie, qui rêve de confirmer sa victoire fondatrice face au Botswana (1-0).

Une Tunisie sonnée, mais pas résignée

Quand Kamel Saada s’avance en conférence de presse, ce mercredi matin, il n’esquive pas. « Oui, le score contre le Nigeria est lourd. Mais il ne raconte pas tout. Pendant 60 minutes, on a tenu, on a été disciplinées. Il y a eu des erreurs, oui, mais le groupe a répondu dans l’état d’esprit. »

L’état d’esprit, c’est ce qu’il faudra mobiliser à nouveau, et plus que jamais. Car les chiffres sont implacables : la Tunisie reste sur quatre défaites consécutives en phase finale de CAN Féminine, sans inscrire le moindre but. La dernière fois que les Aigles de Carthage ont trouvé la faille, c’était lors de leur victoire 4-1 contre le Togo en 2022. Depuis, 388 minutes d’impuissance offensive.

Face au Nigeria, la Tunisie n’a pas cadré un seul tir, n’a réussi que 97 passes — le plus faible total de toutes les équipes sur les deux dernières éditions — et n’a eu que 28 % de possession. « C’est insuffisant, bien sûr. Mais on ne joue pas tous les jours contre une équipe comme le Nigeria », plaide Saada. « Contre l’Algérie, ce sera un tout autre match. Un match que l’on veut gagner. »

Farid Benstiti : « La Tunisie mérite le respect »

Du côté algérien, le discours est ferme mais mesuré. L’Algérie, avec son effectif dense et structuré autour d’une ossature franco-algérienne, a entamé sa compétition sur une note positive. Un but de Ghoutia Karchouni, une organisation bien en place, une victoire sans fioritures, mais terriblement précieuse (1-0 contre le Botswana).

« C’est une CAN, pas un tournoi d’exhibition », tranche Farid Benstiti. « Ce qui compte, c’est le résultat. Gagner 1-0, c’est parfois mieux que de gagner 4-0 sans rien maîtriser. »

Pour autant, l’ancien coach du PSG ne veut pas entendre parler de favoritisme. « Je suis plus inquiet du match contre la Tunisie que contre le Nigeria. Parce qu’on connaît cette équipe. On a joué deux fois contre elle récemment. On a perdu une fois, fait nul une autre. Elles sont solides, bien organisées. Elles ne nous feront aucun cadeau. »

Inès Belloumou : « Ce match, on ne peut pas le rater »

Inès Belloumou, l’arrière gauche de Malmö, a été l’une des joueuses les plus en vue du premier match, avec 89 touches de balle et une influence constante sur le couloir gauche. Elle évoque aussi ce match avec un mélange de concentration et de fierté.

« Un Tunisie-Algérie, ce n’est pas juste un match de groupe. C’est une affiche qu’on connaît, qu’on attend. On va croiser des visages connus, des anciennes coéquipières. Mais une fois sur le terrain, il n’y a plus d’amies. Juste des adversaires. »

Chrini Lamti, le cœur tunisien

Face à cette Algérie bien en place, la Tunisie misera sur la combativité et la vision de jeu de Chrini Lamti, sa milieu de terrain la plus fiable. Sa capacité à casser les lignes, à temporiser quand il le faut et à couvrir les espaces en transition sera déterminante. « Le groupe veut répondre présent. On sait qu’on est attendues, qu’on doit montrer autre chose », dit-elle simplement.

Kamel Saada, lui, sait que ses joueuses ont plus de talent que ce qu’elles ont montré contre le Nigeria. « Il ne faut pas tomber dans le piège de la peur. Il faut oser. Jouer notre jeu, prendre des risques. »

Les clés du match

Physiquement, l’Algérie semble plus prête. Face au Botswana, elle a imposé son rythme, enregistré 336 passes réussies à 77,8 % de précision, avec sept tirs cadrés. À l’opposé, la Tunisie a semblé hors du coup. Mais le contexte d’un derby pourrait gommer cette différence.

Tactiquement, les deux équipes évoluent dans un registre assez similaire : un bloc médian compact, un jeu basé sur les transitions, des pistons offensifs qui montent vite. La différence pourrait se faire dans les zones de vérité, où l’Algérie semble avoir plus de repères et de réalisme.

Mentalement, enfin, tout est ouvert. Farid Benstiti insiste : « Ce genre de match se gagne aussi avec le cœur. On doit être solides dans les têtes. » Il se méfie des conditions : « Le coup d’envoi à 17h, la chaleur... C’est un paramètre à gérer, mais c’est pour les deux équipes pareil. À ce stade, le mental fera la différence. »

Si l’Algérie s’impose, elle pourrait valider son ticket pour les quarts de finale dès ce jeudi et réalisera ainsi une performance inédite, car jamais les Vertes ne sont qualifiées pour les matchs à élimination direct en Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies. En cas de nul, elle resterait en position favorable avant de défier le Nigeria.

La Tunisie, elle, est au pied du mur. Une deuxième défaite, et les portes de l’élimination s’ouvriraient dangereusement. Mais une victoire dans le derby changerait tout : elle relancerait la dynamique, offrirait une bouffée d’espoir, et prouverait que cette génération peut encore écrire une histoire.